Artículo #83

In vino veritas, in aqua sanitas
S’il était possible de faire un voyage dans le temps et de visiter les grandes villes actuelles telles qu'elles étaient à l'époque, le port du masque aurait été le minimum syndical. L'odeur ambiante que l'on pourrait qualifier de nauséabonde ne serait pas supportable pour une personne du XXIe siècle. Les mauvaises odeurs animales et humaines, entremêlées d'une solution vinaigrée, irritante et oppressante, imprégnaient tout sur leur passage, des vêtements à la peau. Excréments, urines, restes d'abattoirs et de tanneries, mais aussi cadavres humains : voici le spectaculaire et grotesque décor quotidien d'un monde où l'hygiène publique, la salubrité, le contrôle des virus, champignons et autres bactéries, n'existaient pas.
Texto destacado
« Le vin est le breuvage le plus sain et hygiénique qui soit », énonça Louis Pasteur.

Cependant, même si tout cela s'avérait être un réel poison pour la santé de la nation, ce spectacle ne peut en aucun cas être comparé aux crues d'eaux usées qui s'écoulaient en journée le long des maisons, appartements et rues, contaminant tout sur leur passage : la terre, l'air et l'eau. C’est ainsi que, dans un contexte sans eau potable, avec peu ou pas d'hygiène et sans politique publique de santé, l'eau est devenue, pendant des siècles, l'un des pires ennemis de l'homme.

Dans son célèbre ouvrage « Civilisation matérielle, économie et capitalisme - XVe et XVIIIe siècles », Fernand Braudel a analysé de manière très précise les relations historiques des Européens, d’avant Moyen-Âge et modernité, non seulement de consommation d'eau, mais aussi de différentes boissons dites « excitantes » comme le thé, le café, la bière et le vin, venues chatouiller le palais d'un continent sale et décadent. Jusqu'à peu, le vin était, en outre, le plus consommé au sein de l'Europe méditerranéenne. La civilisation décrite par Braudel a un goût plus marqué pour le vin que pour l'eau, même si parfois il lui arrivait de couper le vin avec de l’eau. Dans un monde envahi par les pandémies et maladies, la consommation d'eau était si dangereuse qu'elle se limitait aux habitants des campagnes vivant près d'une source d'eau potable.
À cette époque, pour une grande quantité de la population, consommer du vin se révélait être la pratique la plus saine. Il s'est passé la même chose en Amérique, où les Européens ont ramené leur culture, leurs produits et leur saleté. Jusqu’à peu, boire l'eau du robinet dans les pays américains était une pratique dangereuse. Malheureusement, c'est toujours le cas dans la majorité des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. « Le vin est le breuvage le plus sain et hygiénique qui soit », énonça Louis Pasteur. Quelques siècles auparavant, Pline l’Ancien édicta sa phrase la plus célèbre « In vino veritas, in aqua sanitas ». Encore avant ces deux grands, l'historien grec Thucydides disait « Les peuples méditerranéens commencèrent à sortir de la barbarie quand ils apprirent à cultiver l'olivier et la vigne ».
En ce sens, Pasteur signale dans ces écrits : « Le jus du raisin bouillonne dans la cuve de vendange par le dégagement du gaz d’acide carbonique, la pâte de la farine se soulève et s'aigrit, le lait se caille, le sang se putréfie, la paille rassemblée devient du fumier, les feuilles et les plantes mortes enfouies dans la terre se transforment en terreau... Je dois avouer que mes recherches ont été guidées par la structure de la substance, d'un point de vue sinistre et spécial qui joue un rôle important dans les lois les plus intimes de l'organisation des êtres vivants, en entrant dans les confins les plus sombres de leur physiologie. » (Études sur le vinaigre et sur le vin, 1857). À la fin du XIX siècle, l'homme a inventé « l'eau potable », une eau bonne à la consommation humaine, grâce à un processus de filtrage, d’épuration, de désinfection, de chloration, de stockage sûr et de transport résidentiel. La grande transformation de Paris avait déjà commencé, la convertissant en la ville la plus moderne du monde. Tout ceci sous l'égide de Napoléon III et du Baron Haussmann, premier architecte à avoir conçu une ville en adéquation avec la santé et le bien-être de la population, basée sur le principe de l'hygiène publique (réseau d'eau potable, égouts et toilettes publiques). L'exemple de Paris, dont la transformation a signifié la démolition et la réédification des trois quarts de la ville, a été suivi par les grandes capitales occidentales : Londres, New York et Saint-Pétersbourg, entre autres.
Au fil des ans, les technologies et idées modernes en rapport avec l'hygiène publique sont devenues universelles. Elles sont présentes dans la quasi-totalité des pays avec d'évidentes différences sociales qui provoquent d'énormes brèches pour un accès démocratique à l'eau potable, aux égouts et aux services d'hygiènes basiques. De nos jours, il serait étrange de supposer que certains préfèrent boire du vin plutôt que de l'eau pour être en bonne santé. Ou qu'ils préfèrent servir du vin à leurs enfants, aux personnes âgées, aux malades ou à des personnes en convalescence, que de l'eau du robinet dont l'origine et la composition laissent à désirer.
Il convient de se rappeler avec nostalgie, qu'avant que l'Homme n’atteigne Mars ou la Lune, avant la mécanisation, la digitalisation et l'informatique, avant que les vols intercontinentaux soient inventés ou que l'être humain soit capable de combattre virus et bactéries, avant l'intelligence artificielle et les réseaux sociaux, notre seul réconfort résidait dans un verre de vin. Une bouteille partagée avec nos amis et notre famille, dans un endroit réconfortant ou dans un bar, pour hydrater le corps et alimenter l'esprit.